Lecture expliquée n°10, chapitre XXXII
Pour introduire le texte, situons dans l'action du roman.
Nous en étions à la situation désespérée d'Axel enfermé dans le labyrinthe et se représentant comme un squelette fossilisé. Heureusement, il finit par retrouver son oncle. Sauvé ! Dans le chapitre XXX, Axel découvre avec émerveillement que les explorateurs sont parvenus jusqu'à une véritable mer, qui s'étend dans les profondeurs de la terre.
C'en est fini de la descente sans fin dans les entrailles sinueuses de la Terre. Maintenant s'ouvrent de grands espaces. Le lecteur oublie presque qu'il est à l'intérieur de la Terre. Les explorateurs parviennent à fabriquer un radeau avec du bois fossilisé (Verne a réponse à tout). Commence alors une véritable odyssée. Axel encore un peu étourdi, ouvre les yeux sur un spectacle extraordinaire. Notre problématique est donc :
Problématique : En quoi Axel se livre-t-il à une véritable rêverie scientifique ?
Sur les rêves d'Axel, voir la dernière page du blog (exposé et reprise)
Lignes 131-132
La lunette est un instrument de l'équipement de l'explorateur décrit dans le chapitre XI. La description se fait donc, comme dans le reste du roman, en adoptant le point de vue du personnage-narrateur. Le lecteur devra attendre un peu. L'exploration ne deviendra intéressante qu'au large des côtes. L'aventure est au loin. Et nous allons voir que la lunette va devenir un instrument du rêve, une métaphore de l'imagination, puisque ce chapitre va nous projeter au-delà du visible.
Lignes 133-137
La lunette est dirigée vers les airs. Axel se pose une question, comme un scientifique, en se plaçant sous l'autorité de l'immortel Cuvier, le célèbre zoologue et paléontologue qui est à l'origine de la classification des espèces). La question mérite d'être posée, car les fonds marins présentent des poissons. Cette question provoque une attente chez le lecteur, mais elle reste sans réponse : "les airs sont inhabités" (l. 137) comme la mer est "déserte" (l. 131). Et nous allons voir que la mer et l'air vide vont être utilisé comme un écran où l'imagination va projeter ses visions.
Lignes 138-158
"Je rêve tout éveillé". "Je crois voir". C'est bien ce qui va se produire, la description qui suit est un rêve, mais un rêve inspiré par Cuvier, Alex répertorie plusieurs espèces animales.
Des verbes d'action rendent la description plus vivantes "passent", "se cachent". Mais c'est la description qui domine, et la comparaison ("plus puissants que", "plus grands que") le principe de ressemblance et d'analogie qui préside à tout classification scientifique
C'est un véritable muséum d'histoire naturelle qui s'anime dans la pensée d'Axel. Plusieurs lieux qui s'offrent à son regard "surface des eaux" (l. 140), "grève assombries" (l. 141), se peuplent d'espèces préhistoriques, qui empruntent des caractéristiques à plusieurs espèces connues : "comme si le créateur […] eût réuni plusieurs animaux en un seul".
Le point de vue s'élève : "plus haut" (l. 152) est répété "plus haut encore" (l. 154). A mesure qu'Axel élève son regard, son imagination peuple les espaces supérieurs dans un mouvement ascendant. En bas les "tortues antédiluviennes" qui se confondent avec le sol, des pachydermes en montant vers les espèces volantes, ptérodactyles, en passant par les premiers singes. L'ordre de la description imite celui de l'évolution. Le mouvement ascendant se termine avec la "paroi de la voûte granitique", qui rappelle au lecteur que nous sommes bien au centre de la Terre.
Lignes 159 à 174
"Tout ce monde fossile renaît dans mon imagination". L'emploi du verbe renaître exprime bien que l'imagination a la faculté de ressusciter des mondes perdus. L'exploration remonte jusqu'aux temps bibliques. Cette souveraine imagination apporte donc une connaissance illimitée elle "devance l'apparition des êtres animés.
Le la ligne 162 à 166, on observe un voyage dans le temps et dans l'espace traduite par une accumulation présentant les espèces dans l'ordre inverse de leur apparition sur la terre. On observe une intériorisation de la description à mesure que la terre se dépeuple dans le rêve d'Axel : "Toute le vie de la terre se résume en moi" (l. 167).
Après s'être intéressé au monde animal, la pensée d'Axel se focalise sur les espèces végétale de la préhistoire, les arbres et les plantes aux noms savants et mystérieux Sphénophylles, Astérophylles, Lycopodes...
Lignes 175 à 182
La conséquence de cette intériorisation de la perception conduite à modification de la perception du temps : "Les siècles s'écoulent comme des jours". Le verbe "je remonte" indique bien qu'Axel a parcouru à rebours le temps de l'évolution "la série de transformations terrestres". Il donne de l'histoire du monde un raccourci assez vertigineux, de l'apparition de la vie sur la terre : "les plantes", "les roches", "l'état liquide", jusqu'à un "bouillonnement" primordial, puis l'état gazeux, qui rappelle l'état du soleil. Cette image de la matière en fusion comme origine de Terre est tout à fait scientifique, elle n'avait pas été confirmée à l'époque de Jules Verne. Ici la rêverie d'Axel annonce ce que la Science va prouver. La vie s'est formée sur terre à partir d'un refroidissement de la planète, qui n'était à l'origine qu'une masse gazeuse brûlante.
Lignes 183 à 187
Voilà qu'Axel quitte la terre et entre dans la démesure d'une "nébuleuse" (effet étourdissant du dénombrement "quatorze cent mille fois") des "espaces planétaires". C'est une expérience grisante, enthousiasmante. Le corps même d'Axel perd sa matérialité il "se subtilise", "se sublime". Ces verbes se rapportent autant à un état volatile de la matière qu'à une expérience spirituelle. Axel a véritablement la vision d'un état de l'univers avant l'apparition des planètes, lorsqu'il semble voir un "atome impondérable" et imagine "ces immenses vapeurs qui tracent dans l'infini leur orbite enflammé'. Le style de Verne ici, pour décrire ces visions sublimes et primordiales (une sorte de voyage astral), adopte une tonalité poétique, et même lyrique.
Lignes 188 à 190
Les phrases exclamatives et interrogatives prolongent ce moment de contemplation avec le même lyrisme. Mais on voit qu'Axel, tout en rêvant, prend des notes, il "en jette sur le papier les étranges détails". Ce rapport immédiat du rêve à l'écriture, n'est-ce pas la meilleure définition du travail de l'écrivain ? Mais il est ailleurs en esprit ("J'ai tout oublié"). Mais on voit qu'il sort peu à peu de sa rêverie, qu'il qualifie "d'hallucination".
Lignes 191-200
Avec le retour du dialogue, l'esprit d'Axel reprend sa place dans le radeau.
C'est la voix de l'oncle qui réveille Axel. Axel est encore sous l'emprise de son rêve éveillé puisque ses "yeux tout ouverts se fixent sur lui sans le voir". Un fois encore, c'est son oncle qui le ramène à la réalité, en le mettant en garde puisque son rêve vertigineux aurait pu le faire défaillir et tomber à la mer. Et, avec la voix de Liddenbrock, c'est un geste de Hans, cet homme vigoureux et efficace. L'expression "empire de mon rêve" dit bien toute la puissance de l'hallucination, et le pouvoir immense qu'elle peut avoir sur l'esprit, Axel semble "fou" (l. 197) ou "malade" (l. 199), telle est l'apparence de celui qui voyage en imagination.
Lignes 201-205
Le récit revient à son point de départ, pour ainsi dire au niveau de la mer. Mais l'aspect de celle-ci porte encore la trace de la vision d'Axel : "la ligne d'eau se confond toujours avec la ligne des nuages", ce qui symboliquement exprime que le visible est confondu avec l'invisible, que l'imaginaire n'est plus séparé du réel.
Conclusion
La lunette d'Axel permet de voir très loin !
L'Odyssée d'Axel est un moment visionnaire. Le voyage en radeau sur la mer Liddenbrock est en fait un moment visionnaire. Alors que le centre de la Terre est peuplé de fossiles, l'imagination d'Axel recrée les états antérieurs de la vie animale, végétale, géologique et cosmique. L'hallucination du narrateur n'est pas dénuée de rigueur scientifique. Ce passage est donc particulièrement visionnaire, il confirme les travaux de l'époque sur l'origine gazeuse de l'univers, sur l'apparition de la vie et sur l'évolution.
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