L'initiation amoureuse

Avant d'aborder la lecture expliquée sur Lise, je vous propose d'aborder un parcours de lecture consacré à l'amour. Il s'agira suivre l'évolution de ce thème au fil des poèmes.
Posez vous les questions suivantes :
- En quoi ces poèmes sont-ils des invitations à l'amour ?
- De quelle manière le poète répond-il à ces invitations ?
- Comment le sentiment amoureux s'approfondit au cours du recueil ?

Je vous rappelle les poèmes que vous avez à (re)lire :
I, 11 « Lise »
I, 15 « La Coccinelle »
I, 19 « Vieille chanson du jeune temps »
I, 21 « Elle était déchaussée, elle était décoiffée »
II, 7 « Nous allons au verger cueillir des bigarreaux »
II, 12 « Églogue »
III, 10 « Amour »

Etude du parcours


La sensualité et l'expression du désir

L'attirance charnelle est souvent exprimée par des détails "cou de neige", 'beaux bras blancs en marche". La bouche est aussi une invitation à l'amour "bouche fraîche". Remarquons aussi que Rose, "défait sa chaussure" et la que dans un autre poème la beauté farouche est "déchaussée". L'érotisation et le dévoilement du corps se fait de plus en plus explicite. Dans les poème plus récents, c'est le poète qui pose les questions "Veux-tu ?..."Le poème "Elle était déchaussée" raconte une rencontre charnelle.

La nature, cadre sauvage de l'amour

L'amour est associé à un nature sauvage. Le bois, lieu secret et intime, ou se fait entendre le chant des oiseaux, est le lieu propice de la rencontre amoureuse, on y trouve aussi la "mousse " et "l'eau" qui peuvent être considérés comme des symboles érotiques. Il s'agit bien d'une nature amoureuse

L'expression du regret, les occasions manquées 

Dans le recueil se poursuit une initiation amoureuse, le poète, bête et maladroit dans les poème de l'innocence ("la bêtise est à l'homme") ne saisit pas les occasions qui lui sont offertes, par exemple à l'invitation explicite de Rose ("Et après ?"). Mais il gagne en expérience, prend des initiatives, s'affirme enfin dans l'amour et ne commet plus les même erreurs : "Et laissait la cerise et prenait le baiser"

La grandeur de l'amour

A mesure que l'amour croît, il est révélé comme le principe de toute chose, mais est découverte aussi sa proximité avec l'ombre et les gouffres, passion, jalousie, symbolisée par le gouffre, "abîme", "sombre entonnoir" que les amants découvrent après leur ascension "de cime en cime".  Qui s'élève grâce à l'amour contemple les profondeurs insondables du mal

La spiritualité de l'amour

A mesure qu'il s'élève et s'approfondit, l'amour devient un principe spirituel, l'éros grec dont par Platon, et la le commandement de l'amour, Loi du christianisme. L'amour connaissance et l'amour charité, il est le "fil qui relie au firmament", le principe, charme, qui relie toutes choses dans l'univers.

Nous voyons donc que le thème de l'amour connaît un approfondissement dans le recueil, qui commence par les souvenirs maladroits de l'amour adolescent, et se prolonge par la contemplation de l'amour comme loi suprême de l'univers.

Nous étudierons "Lise" en lecture expliquée, je laisse pour l'instant ce poème de côté.

LA COCCINELLE (I, 15)

Elle me dit : Quelque chose
Me tourmente. Et j’aperçus
Son cou de neige, et, dessus,
Un petit insecte rose.

J’aurais dû — mais, sage ou fou,
À seize ans, on est farouche, —
Voir le baiser sur sa bouche
Plus que l’insecte à son cou.

On eût dit un coquillage ;
Dos rose et taché de noir.
Les fauvettes pour nous voir
Se penchaient dans le feuillage.

Sa bouche fraîche était là :
Je me courbai sur la belle,
Et je pris la coccinelle ;
Mais le baiser s’envola.

— Fils, apprends comme on me nomme,
Dit l’insecte du ciel bleu,
Les bêtes sont au bon Dieu ;
Mais la bêtise est à l’homme.

VIEILLE CHANSON DU JEUNE TEMPS (I, 19)

Je ne songeais pas à Rose ;
Rose au bois vint avec moi ;
Nous parlions de quelque chose,
Mais je ne sais plus de quoi.

J’étais froid comme les marbres ;
Je marchais à pas distraits ;
Je parlais des fleurs, des arbres ;
Son œil semblait dire : Après ?

La rosée offrait ses perles,
Le taillis ses parasols ;
J’allais ; j’écoutais les merles,
Et Rose les rossignols.

Moi, seize ans, et l’air morose.
Elle vingt ; ses yeux brillaient.
Les rossignols chantaient Rose
Et les merles me sifflaient.

Rose, droite sur ses hanches,
Leva son beau bras tremblant
Pour prendre une mûre aux branches ;
Je ne vis pas son bras blanc.

Une eau courait, fraîche et creuse,
Sur les mousses de velours ;
Et la nature amoureuse
Dormait dans les grands bois sourds.

Rose défit sa chaussure,
Et mit, d’un air ingénu,
Son petit pied dans l’eau pure ;
Je ne vis pas son pied nu.

Je ne savais que lui dire ;
Je la suivais dans le bois,
La voyant parfois sourire
Et soupirer quelquefois.

Je ne vis qu’elle était belle
Qu’en sortant des grands bois sourds.
— Soit ; n’y pensons plus ! dit-elle. (T3)
Depuis, j’y pense toujours.

XXI (I, 21)

Elle était déchaussée, elle était décoiffée,
Assise, les pieds nus, parmi les joncs penchants ;
Moi qui passais par là, je crus voir une fée,
Et je lui dis : Veux-tu t’en venir dans les champs ?

Elle me regarda de ce regard suprême
Qui reste à la beauté quand nous en triomphons,
Et je lui dis : Veux-tu, c’est le mois où l’on aime,
Veux-tu nous en aller sous les arbres profonds ?

Elle essuya ses pieds à l’herbe de la rive ;
Elle me regarda pour la seconde fois,
Et la belle folâtre alors devint pensive.
Oh ! comme les oiseaux chantaient au fond des bois !

Comme l’eau caressait doucement le rivage !
Je vis venir à moi, dans les grands roseaux verts,
La belle fille heureuse, effarée et sauvage,
Ses cheveux dans ses yeux, et riant au travers.

VII (II, 7)

Nous allions au verger cueillir des bigarreaux.
Avec ses beaux bras blancs en marbre de Paros,
Elle montait dans l’arbre et courbait une branche.
Les feuilles frissonnaient au vent ; sa gorge blanche,
O Virgile, ondoyait dans l’ombre et le soleil.
Ses petits doigts allaient chercher le fruit vermeil,
Semblable au feu qu’on voit dans le buisson qui flambe.
Je montais derrière elle ; elle montrait sa jambe,
Et disait : Taisez-vous ! à mes regards ardents,
Et chantait. Par moments, entre ses belles dents,
Pareille, aux chansons près, à Diane farouche,
Penchée, elle m’offrait la cerise à sa bouche ;
Et ma bouche riait, et venait s’y poser,
Et laissait la cerise et prenait le baiser.

ÉGLOGUE (II, 12)

Nous errions, elle et moi, dans les monts de Sicile.
Elle est fière pour tous et pour moi seul docile.
Les cieux et nos pensers rayonnaient à la fois.
Oh ! comme aux lieux déserts les cœurs sont peu farouches !
Que de fleurs aux buissons, que de baisers aux bouches,
Quand on est dans l’ombre des bois !

Pareils à deux oiseaux qui vont de cime en cime,
Nous parvînmes enfin tout au bord d’un abîme.
Elle osa s’approcher de ce sombre entonnoir ;
Et, quoique mainte épine offensât ses mains blanches,
Nous tâchâmes, penchés et nous tenant aux branches,
D’en voir le fond lugubre et noir.

En ce même moment, un titan centenaire,
Qui venait d’y rouler sous vingt coups de tonnerre,
Se tordait dans ce gouffre où le jour n’ose entrer ;
Et d’horribles vautours au bec impitoyable,
Attirés par le bruit de sa chute effroyable,
Commençaient à le dévorer.

Alors, elle me dit : — J’ai peur qu’on ne nous voie !
Cherchons un antre afin d’y cacher notre joie !
Vois ce pauvre géant ! nous aurions notre tour !
Car les dieux envieux qui l’ont fait disparaître,
Et qui furent jaloux de sa grandeur, peut-être
Seraient jaloux de notre amour !

AMOUR (III, 10)

Amour ! Loi, dit Jésus. Mystère, dit Platon.
Sait-on quel fil nous lie au firmament ? Sait-on
Ce que les mains de Dieu dans l’immensité sèment ?
Est-on maître d’aimer ? Pourquoi deux êtres s’aiment,
Demande à l’eau qui court, demande à l’air qui fuit,
Au moucheron qui vole à la flamme la nuit,
Au rayon d’or qui vient baiser la grappe mûre !
Demande à ce qui chante, appelle, attend, murmure !
Demande aux nids profonds qu’avril met en émoi !
Le cœur éperdu crie : Est-ce que je sais, moi ?
Cette femme a passé : je suis fou. C’est l’histoire.
Ses cheveux étaient blonds, sa prunelle était noire ;
En plein midi, joyeuse, une fleur au corset,
Illumination du jour, elle passait ;
Elle allait, la charmante, et riait, la superbe ;
Ses petits pieds semblaient chuchoter avec l’herbe ;
Un oiseau bleu volait dans l’air, et me parla ;
Et comment voulez-vous que j’échappe à cela ?
Est-ce que je sais, moi ? C’était au temps des roses ;
Les arbres se disaient tout bas de douces choses ;
Les ruisseaux l’ont voulu, les fleurs l’ont comploté.
J’aime ! — Ô Bodin, Vouglans, Delancre ! prévôté,
Bailliage, châtelet, grand’chambre, saint office,
Demandez le secret de ce doux maléfice
Aux vents, au frais printemps chassant l’hiver hagard,
Au philtre qu’un regard boit dans l’autre regard,
Au sourire qui rêve, à la voix qui caresse,
À ce magicien, à cette charmeresse !
[...]

Elle était déchaussée, elle était décoiffée ...Victor Hugo ...
Une nymphe des bois

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Correction essai et contraction

Lecture expliquée n°13, "Magnitudo parvi"

Lecture expliquée n°11 : H.G. Wells, La machine à explorer le temps